Que nous, parents, ne devrions pas ignorer …
Nous avons toutes les bonnes raisons pour ne pas trop nous attarder sur ce sujet.
D’abord, ça a toujours existé, des adolescents, qui, au moment de l’éveil hormonal et des premières questions sur la sexualité, ont caché sous leur matelas des revues de lingerie fine ou ont regardé un film X ….
Ensuite, il est vrai que et en particulier au moment de l’adolescence, aborder ces sujets avec son fils ou sa fille prend un caractère encore plus intime. Alors, parler de porno à notre ado, nous paraîtrait tout à fait intrusif et inapproprié … quant à nos plus jeunes enfants, que nous puissions les préserver de ces mots et leur en parler le plus tard possible !
Alors, pourquoi s’intéresser davantage à ce phénomène, car, je vais vous le montrer, c’en est un, pour notre nouvelle génération de petits chérubins ?
Parce que c’est massif ….
Cela concerne TOUS nos ados. Personne n’est épargné.
Fille ou garçon, lycéen, collégien et parfois même écolier, habitant d’une grande ville ou campagnard, un jour ou l’autre, de manière volontaire ou subie, de manière fréquente ou épisodique, votre enfant sera confronté à une image ou une vidéo à caractère pornographique. Le sondage réalisé par l’IPSOS en juin dernier est éloquent : 93% des garçons et 62% des filles de moins de 18 ans ont déjà visionné un film pornographique en ligne1.
Cela concerne nos enfants de plus en plus jeunes.
Alors qu’il y a 4 ans le premier visionnage pour une fille s’établissait en moyenne à l’âge de 15,1 ans aujourd’hui, il serait à l’âge de 14,3 ans. Et, selon d’autres sources, il arrive fréquemment que des enfants de 11, 10 ou même 9 ans en aient déjà vu !
Parce que c’est radicalement différent de ce que nous avons vécu ….
Le porno envahit le quotidien de certains ados, à l’insu de leurs parents.
L’usage des smartphones permet un accès illimité, gratuit et en toute discrétion à des sites X tels que Youporn ou Pornhub …. Certains adolescents en arrivent à une consommation hebdomadaire, voire quotidienne de ces contenus : 21% des 14-24 ans regardent au moins une fois par semaine du porno et 9% des 14-17 ans une ou plusieurs fois par jour (selon le même sondage) !
Le porno influence leur quotidien et leurs relations amoureuses.
C’est ce que j’appellerais, le porno nouvelle génération, qui prend des formes qu’on n’aurait pas imaginées. Les acteurs ne sont pas des étrangers, ce sont les collégiens eux-mêmes qui envoient des « nudes » ou « selfies » d’une partie de leur corps à leur petit copain, en destination privée dans son intention initiale ; qui se filment dans des ébats amoureux ou en train de se masturber et le partagent ensuite avec ou sans consentement. Si l’histoire d’amour tourne court, on tombera facilement dans le « revenge porn » ou encore si le petit copain (ou la petite copine) souhaite partager son bonheur avec ses autres amis, on pourra assister à une diffusion publique sur les réseaux sociaux de ces contenus intimes à caractère sexuel, qui étaient initialement destinés à rester privés, et qui sont devenus publics, et sont donc devenus pornographiques, selon la définition du Petit Robert (ed.1988) : « représentations de choses obscènes – qui blessent la pudeur- destinées à être communiquées au public ». Sauf que cela ce n’était pas forcément « destiné » à devenir public.
Et si on revient spécifiquement au visionnage de porno sur les « tubes », ces sites de vidéos porno gratuites tels que Youporn ou Pornhub, le contenu regardé est souvent violent, stéréotypé. L’homme exprime une forme de toute puissance pour son plaisir à lui, il est dans la performance et la femme et objet de son plaisir. Ce ne sont que des morceaux de chair qui s’emboîtent– il n’y a plus expression de désir ou de relations humaines. Nous sommes alors bien loin des jolies photos La Redoute ou des films érotiques des années 70-80. C’est d’ailleurs ce que dénonce Ovidie, star du X, dans son livre A un clic du pire, la protection des mineurs à l’épreuve d’Internet2. Ces contenus peuvent amener les ados à prendre pour argent comptant ce qu’ils voient, à penser que c’est comme cela que ça se passe dans une relation amoureuse …
Et donc ?
Donc, nos ados, en guise de réponses à leurs questions sur la sexualité, plongent dans un autre genre de questionnement : Serai-je aussi performant ? Mon pénis est vraiment petit, ferai-je l’affaire ? Et si je ne jouis pas comme l’actrice, suis-je normale ?
Certains sont inhibés par ce qu’ils ont vu, voire même dégoutés de ce qu’ils ont visionné ou …. de la réalité : « Une femme avec des poils, berk ! »… Ce qui, soit dit en passant, encouragent de nombreuses jeunes filles à des épilations intégrales.
D’autre s’enhardissent dans des comportements sexuels violents ou transgressifs, sans s’encombrer de préliminaires … dissociant, sans bien s’en rendre compte leur corps, leurs émotions et leur intelligence … C’est la pulsion sexuelle qui les meut, c’est le plaisir qu’il recherche en soi et pour soi, en niant l’autre.
Et petit à petit, se forge une idée de la sexualité bien éloignée de ce qu’elle est ou ce qu’elle pourrait être : la sexualité comme langage d’amour. D’ailleurs, on ne parle de relations sexuelles que chez l’homme, pas chez l’animal : le rapport sexuel n’a pas comme unique finalité la reproduction, elle s’inscrit dans une relation, dans un lien particulier entre l’homme et la femme.
A l’heure où ils devraient découvrir la dignité et la beauté de leur corps et progresser, petit à petit, dans l’unité de leur être : corps, émotion, intelligence, ils entretiennent l’idée, par le visionnage de ces vidéos, que ces dimensions de leurs personnes peuvent être séparées et que le sexe peut être fait sans sentiment. Comme le notait, Thérèse Hargot, sexologue, dans Une jeunesse sexuellement libérée (ou pas)3 : si ce n’est pas le sentiment amoureux qui est présent, il y a des émotions mêlées de honte, de colère, de trahison, de haine qui apparaîtront tôt ou tard … Le corps ne peut pas vivre dans une complète indifférence ce qui est vécu, si ce n’est pas pleinement consenti dans la dignité et le respect de l’un et de l’autre.
A l’heure où devrait commencer l’éducation sexuelle : la connaissance et la compréhension de sa propre sexualité d’homme ou de femme, pour arriver à l’âge adulte à la capacité de se donner entièrement corps et âme à la personne choisie pour la vie, mû par le désir, et pas simplement par une pulsion sexuelle, de lui procurer la jouissance de son corps parce qu’on l’aime … Certains ados, par l’habitude de fréquentation de sites pornographiques, prennent un chemin de traverse sur la route du bonheur. Cette voie leur fera sans doute perdre un peu de temps dans leur maturité affective, dans cet apprentissage de la sexualité. Espérons, que de ce chemin, ils ne sortiront pas trop blessés ou pas avec trop d’habitudes de satisfaction immédiate ou de stéréotypes sur la relation sexuelle, qui leur donneraient plus de mal à entrer dans une relation affective équilibrée.
Et, donc, finalement ?
Alors, là-dessus, on peut se dire que c’est leur vie, que c’est leur intimité et en rester là.
Personnellement, il me semble important déjà de savoir dans quelle réalité vivent nos jeunes. Certains parents, sachant cela auront sans doute envie d’écouter leurs enfants pour connaître mieux leur quotidien, ils souhaiteront aussi peut-être, en tout cas cela sera le bon moment, de dire la beauté et de la dignité du corps humain et du corps de l’autre, le bonheur d’une relation affective équilibrée …. Ils auront envie de partager à leurs enfants ce qu’ils vivent ou ce qu’ils ont vu vivre autour d’eux : pour leur donner envie d’aimer, envie d’aimer véritablement avec leur corps, leur cœur et leur esprit ; pour leur donner l’envie du bonheur.
1 – Enquête menée par IPSOS pour la Fondation pour l’innovation politique. Les addictions chez les jeunes (14-24 ans), échantillon > 1000 jeunes, juin 2018
2- A un clic du pire, la protection des mineurs à l’épreuve d’Internet, Ovidie, février 2018, Ed. : Anne Carrière
3- Une jeunesse sexuellement libérée (ou pas), Thérèse Hargot, février 2016, Ed. : Albin Michel